Par Josée S. Lafond, professeur, département de sexologie, UQAM
André Dupras, professeur, département de sexologie, UQAM
Placide Munger, chargé de cours, département de sexologie, UQAM
C’est en 1969 au Québec que la sexologie universitaire a vu le jour. La sexologie à l’Université du Québec à Montréal coïncide avec sa création. L’UQAM avait pour mission de jouer un rôle actif dans la modernisation de la société québécoise. La modification des valeurs et des pratiques sexuelles constituait en des bouleversements qui annonçait l’avènement d’une société nouvelle. L’éducation était en pleine évolution et la plupart des jeunes adultes des années quarante et cinquante ont été éduqués, par rapport à la sexualité dans l’ignorance, avec le déni du corps et la valorisation de la chasteté.
L’histoire de la formation universitaire en sexologie au Québec
Ces jeunes des années soixante cherchent de nouvelles structures de mariage fondées sur les valeurs de développement, de satisfaction réciproque et de plaisir partagé. Ils veulent une éducation sexuelle moderne et scientifique qui les prépare mieux à une vie conjugale épanouissante et autonome. Pour assurer le succès de l’éducation sexuelle, il devenait très important d’offrir une formation adéquate et adaptée aux futurs enseignants. L’Université a considéré qu’il faisait partie de son mandat de s’occuper de la formation de spécialistes pédagogues en sexologie, et ce, dans le cadre de son programme de formation des maîtres.
C’est en septembre 1969 que le module éducation-sexologie accueillait ses premiers étudiants. Ainsi, plus d’une cinquantaine d’étudiants entrent dans ce nouveau programme. La formation de baccalauréat spécialisé en enseignement (sexologie) comportait vingt cours de psychopédagogie et dix cours de sexologie. La spécificité et l’originalité de ce programme résidaient dans le souci d’offrir une formation multidisciplinaire par l’étude des dimensions biologiques, psychologiques et sociologiques de la sexualité. Très rapidement, le nombre de cours de sexologie a atteint le chiffre de vingt.
Ce programme de sexologie visait l’acquisition des savoirs théoriques et d’habiletés professionnelles pour assumer le rôle de sexologue éducateur comme on l’appelait à l’origine. D’ailleurs, des stages réalisés dans des écoles permettaient aux étudiants de développer leurs compétences d’intervenant. En plus des cours de biologie et de morale, ils pouvaient intervenir dans le cadre du programme Formation personnelle et sociale qui contenait un volet « éducation à la sexualité ».
Les demandes de services sexologiques dans les milieux sociaux et de la santé ont amené les responsables du programme à inclure un autre stage dans le réseau des affaires sociales et de la santé. Les interventions portaient surtout sur la prévention des maladies transmises sexuellement et des grossesses non désirée chez les jeunes pour s’étendre à des clientèles de plus en plus variées (ex. : les personnes en situation de mésadaptation ou avec des handicaps) et des problématiques de plus en plus complexes (ex. : les abus sexuels).
Différents profils d’études en sexologie
En 1978, deux profils distincts de formation, soit l’éducation sexuelle en milieu scolaire et l’information sexuelle dans les milieux des affaires sociales et de la santé, ont été développés pour permettre aux futurs sexologues éducateurs de développer une meilleure connaissance des milieux dans lesquels ils étaient appelés à intervenir. En 1994, le profil scolaire a été retiré du programme parce que le ministère de l’Éducation du Québec a décidé de ne plus accorder de permis d’enseignement pour les matières qui ne sont pas autonomes, entre autres, le volet : éducation à la sexualité.
Au cours de ces trente-cinq ans d’existence, le programme de premier cycle en sexologie a permis à plus de 1 800 étudiants d’acquérir une expertise dans les domaines de l’éducation et de la prévention en matière de sexualité. On ne compte plus le nombre de personnes qui ont bénéficié de leurs services. Au souci de modernisation sexuelle de la société québécoise, le programme de 1er cycle en sexologie de l’UQAM constitue une réponse concrète et une contribution originale.
Sans recourir aux dimensions cliniques, ce qui n’est possible qu’à la maîtrise, le programme professionnel terminal du premier cycle en sexologie est à l’image autant des besoins permanents de l’intervention en sexualité humaine que ceux conjoncturels. Chaque science et chaque école de pensée majeure trouvent sa place dans cette formation interdisciplinaire (certains diront multidisciplinaire) afin que la sexologue ou le sexologue bénéficie des meilleurs acquis de la connaissance humaine.
C’est surtout sur le terrain que prend toute la force et le sens de la formation reçue. À ce sujet, la liste des personnes, des groupes ou des milieux qui, depuis plus de 36 ans, ont profité ou profitent du savoir-faire sexologique est impressionnante. Les gens de tout âge, sans restrictions, sont concernés par l’une ou plusieurs des innombrables manifestations de la sexualité. C’est sans surprise que les adolescents et les couples, mais aussi les personnes qui avancent en âge et les jeunes enfants, figurent parmi les gens qui intéressent les sexologues. De la diversité des âges naît la richesse, et cette valeur universelle s’exprime au mieux lorsqu’elle reçoit les cultures; c’est pourquoi le programme ouvre ses portes à toutes les réalités qui affirment leurs spécificités, leur unicité.
Les années 2000 sont une porte ouverte sur de nouveaux horizons pour la profession de sexologue. Cette constatation et cette évolution furent accompagnées par une réforme majeure du programme de premier cycle (baccalauréat) afin de rendre notre formation encore plus pratique et spécialisée en relation d’aide.
Sexualité et sexologie
La sexualité est présente dans chaque être humain et elle est présente à tous les stades de sa vie. Ce qui nous permet de croire que la sexologie sera vivante encore longtemps. Elle est constamment en changement et si près de l’être humain qu’elle est liée à son évolution et aux changements de la société. Ainsi, il nous est possible de croire qu’avec l’augmentation des familles monoparentales et des familles reconstituées, le sexologue sera amené à travailler avec une autre réalité et un système de valeurs lié à la famille. De plus, le vieillissement de la population est un phénomène social qui fera naître une augmentation de la demande de sexologues appelés à travailler auprès des personnes avancées en âge. Plusieurs sujets tels que les rapports de groupe, la solitude, l’estime de soi, la ménopause, l’effet des médicaments sur la sexualité seront davantage explorés par les professionnels de ce métier.
Internationalisme respectueux propre à l’institution universitaire ou simple reconnaissance de l’aptitude qu’a la sexualité humaine à surpasser les barrières, toujours est-il que des avis d’évaluateurs externes indépendants saluaient encore la qualité générale du baccalauréat en sexologie de l’UQAM, sans équivalent ailleurs dans le monde.
Nourris par ces appréciations, mais demeurant conscients des changements permanents s’opérant au sein de toute société, nous demeurons vigilants à maintenir une formation qui sert notre société. Toujours contingenté, le programme continuera à répondre avec un maximum de pertinence et de souplesse aux nouvelles problématiques sexuelles. Agissant en première ligne dans les situations de crises ou proposant et mettant en oeuvre des projets d’interventions taillés sur mesure pour la diversité des besoins issus de la sexualité, les sexologues continueront encore d’être ces professionnels capables d’établir les ponts entre les disciplines, comme ils le sont pour intégrer chaque aspect de la personne sexuée. De l’hérédité à la société, de la personne à l’histoire, du plaisir au devoir, qui mieux que le sexologue peut offrir la cohérence essentielle à la compréhension du bien-être de l’humain tout entier dans ses désirs et besoins d’être en relation totale? La réponse des milieux communautaires, du réseau de la santé et de celui des affaires sociales du Québec est leur intégration de plus en plus répandue du sexologue, passant outre les préjugés et les images faciles à son endroit.
C’est souvent comme stagiaires durant la formation, dans un premier temps, mais aussi comme intervenant régulier par la suite, que les sexologues occupent l’espace professionnel.
Signe indéniable de leur importance, la reconnaissance de leur intégration dans le système professionnel québécois est maintenant sur la table. L’arrivée de ce champ de pratique ne peut être un caprice. Plus de trois décennies d’existence et une progression puissante, la capacité d’ouvrir des créneaux moins compris par d’autres ou même invisibles à leurs yeux, le montrent sans équivoque.
Il faut également savoir qu’avec les nouvelles technologies de l’information et surtout l’accès à de nombreuses informations aussi diverses les unes que les autres, nous aurons besoin des sexologues pour protéger la population, particulièrement nos enfants et nos adolescents, sur la sexualité. Ainsi, la sexologie a fait son entrée sur Internet, entre autres grâce aux sites Web Élysa et InfoSexoWeb qui permettent déjà de répondre aux besoins sans cesse grandissants de la population en matière d’information à la sexualité. Plusieurs autres phénomènes sociaux pourront être des moteurs de l’évolution de la profession.
Nous pensons à des exemples comme l’augmentation des grossesses non désirées à l’adolescence, l’éventuelle découverte d’un vaccin contre le sida, les probables changements dans les droits liés à l’orientation sexuelle, la mécanisation du corps par les médicaments, voire le stress sociétal, sont tous des problématiques qui concernent directement le sexologue.